Dans un rapport publié le 6 septembre 2024, le cabinet de conseil McKinsey et le laboratoire d’idées La Fabrique de l’industrie analysent les opportunités de décarbonation de l’industrie française. Cette étude met en lumière les cinq principaux leviers permettant à l'industrie de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) pour atteindre les objectifs fixés par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Parmi ces leviers, l’électrification des procédés industriels apparaît comme un pilier central.
L'industrie française est appelée à diminuer ses émissions de GES de 35 % d'ici 2030 et de 81 % d'ici 2050, par rapport aux niveaux de 2015. Si des secteurs comme la chimie, le ciment ou la métallurgie ont déjà mis en place des feuilles de route de décarbonation, l'ensemble du secteur devra intensifier ses efforts. Actuellement, la réduction des émissions est de 2 % par an, mais pour atteindre les objectifs, ce rythme devra s'accélérer à 6 % par an entre 2030 et 2050.
Cinq leviers pour décarboner l'industrie
L'analyse de McKinsey et La Fabrique de l’industrie identifie cinq leviers majeurs pour atteindre ces objectifs. Le premier est l’amélioration de la performance énergétique. Cela inclut des solutions comme l'isolation thermique, la valorisation de la chaleur fatale ou encore l’autoproduction d’énergie décarbonée. Le deuxième levier concerne l’augmentation de l’utilisation de matières recyclées ou bio-sourcées, telles que la biomasse et le biométhane. Le troisième levier consiste à développer des produits verts spécifiques à chaque filière industrielle, comme l'utilisation de l'hydrogène dans la production d'acier à partir de fer préréduit (DRI).
Le quatrième levier, essentiel à long terme, est le captage et le stockage du carbone. Enfin, l’électrification des procédés industriels représente le cinquième et principal levier identifié. L’électrification est cruciale, car elle permet de réduire les émissions directes des entreprises (scope 1) et les émissions indirectes liées à la consommation d'électricité (scope 2). La France bénéficie d’un mix énergétique bas carbone grâce à sa production nucléaire (68 % en 2021), ce qui offre un avantage concurrentiel par rapport à des pays comme l'Allemagne, où le mix énergétique reste plus carboné.
Les défis de l’électrification
Malgré ses avantages, l’électrification de l’industrie française est confrontée à plusieurs obstacles majeurs. L'un des plus importants est le coût des investissements nécessaires pour remplacer ou adapter les équipements industriels existants. Les infrastructures actuelles sont souvent encore en bon état et ne sont pas complètement amorties, ce qui complique les décisions d’investissement dans de nouvelles technologies.
Dans des secteurs comme la sidérurgie, le passage à l’électrification dépend également de la disponibilité de matériaux recyclés, dont l'approvisionnement est déjà tendu. L’électrification nécessitera une plus grande quantité de ces matériaux, accentuant ainsi la pression sur les chaînes d’approvisionnement. Le secteur du verre, quant à lui, peut bénéficier de solutions comme le boosting électrique, qui permet de réaliser des économies d’énergie, mais ces innovations nécessitent des investissements substantiels.
Le coût de l'électricité est également un facteur limitant. À l'heure actuelle, le prix du mégawattheure de gaz reste très compétitif par rapport à celui de l’électricité. Selon Vincent Charlet, directeur de La Fabrique de l’industrie, le prix du nucléaire, estimé à 70 euros par mégawattheure, représente un frein à l'électrification massive de l'industrie. Il souligne toutefois que des mécanismes politiques, comme l’Arenh (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique), qui garantit un prix plus bas pour les électro-intensifs, peuvent rendre cette transition plus viable.
Mutualisation et financement
Pour accélérer la décarbonation, l’étude recommande de penser les stratégies à l’échelle des bassins industriels. Des régions comme Dunkerque, Le Havre ou Fos-Berre concentrent une grande partie des émissions industrielles de GES, offrant ainsi des opportunités de mutualisation des infrastructures. Cela inclut des projets tels que l’Autoroute de la chaleur dans le Nord, qui valorise la chaleur des incinérateurs pour chauffer des quartiers urbains, ou encore le projet D'Artagnan, qui transportera du CO2 capté vers le port de Dunkerque pour le stockage.
Concernant le financement, les auteurs proposent de réorienter une partie des recettes issues du système européen d’échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre (SEQE) vers la décarbonation industrielle. Actuellement, ces fonds sont principalement dirigés vers l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et le budget de l’État.
L’électrification des procédés, soutenue par un mix énergétique bas carbone, pourrait devenir un levier essentiel. Toutefois, pour réussir cette transition, il sera nécessaire de surmonter les obstacles liés aux coûts, aux infrastructures et à l’approvisionnement. Une approche collaborative à l’échelle des bassins industriels, combinée à un financement adéquat, pourrait être la clé pour atteindre les objectifs ambitieux fixés par la SNBC.